Le journaliste financier Lars Schall s’est entretenu avec Tom Fischer, l’académicien Allemand et mathématicien financier, au sujet de la situation de contango de l’or, qui suggère l’intervention des banques centrales. Ils ont également discuté du marché de l’or-papier par rapport au marché physique de l’or, ainsi que d’autres sujets en rapport avec les marchés des métaux précieux, comme le ratio or/argent.

Le Dr. Tom Fischer est professeur de mathématiques financières et calculs stochastiques à l’Université de Wuerzburg, en Allemagne. Ses recherches portent sur l’établissement des prix des actifs et des produits dérivés, le risque systémique, la répartition du capital risque et la gestion du risque de change. En plus de ses activités académiques, Tom Fischer est le scientifique derrière l’outil FX Risk Management, développé par la société de gestion de risque Approximity. Il suit de près les marchés des métaux précieux et, en plus de voir son travail publié dans les journaux, il a développé des modèles exclusifs pour ces marchés. Il est membre de la German Association for Actuarial and Financial Mathematics (DGVFM) et de la German Risk Management Association (RMA e.V.).

Lars Schall : Professeur Fischer, tout d’abord, pourquoi investissez-vous dans l’or et l’argent?

Tom Fischer : Je veux simplement préserver mon capital de ce que je considère être la plus grande crise financière que le monde ait jamais connue. En même temps, je veux conserver un certain équilibre financier et, pourquoi pas, faire quelques profits. Les meilleurs choix, pour moi, sont les deux métaux précieux monétaires.

L.S. : En tant qu’investisseur dans l’or, vous avez développé un modèle stochastique de prix de l’or pour la société de gestion de risque Approximity. Pouvez-vous nous expliquer?

T.F. : Evidémment, je ne peux pas trop en dire. L’idée est basée sur un de mes indicateurs économiques favoris, le Dow Jones Industrial Average divisé par le prix de l’or. Il semble exister une relation cyclique à long terme entre ces deux éléments réelles : une part de l’industrie américaine et une once d’or. Donc, si vous avez un modèle pour le Dow Jones et un modèle pour ce cycle Dow Jones/or, vous pouvez déterminer un modèle pour l’or, et c’est ce que nous avons fait.

L.S. : Lequel des deux marchés est le plus difficile à analyser : celui de l’or ou de l’argent?

T.F. : L’argent, clairement.

L.S. : Et pourquoi?

T.F. : Parce que l’argent est toujours dans le sillage de l’or, et que son marché est trop petit pour pouvoir influencer celui de l’or. Alors, pour l’argent, vous avez, d’un côté, la demande industrielle, importante, qui donne en partie à l’argent les caractéristiques d’une matière première classique. Et, de l’autre côté, il y a cette forte influence qu’exerce l’or sur le prix de l’argent. Mais l’or est bien plus macro-économique – une devise mondiale, si vous voulez – et déjà assez difficile à analyser lui-même. Ces deux composantes rendent l’argent particulièrement difficile à analyser.

L.S. : Pensez-vous que l’argent a de bonnes chances de devenir l’investissement de la décennie? Et où voyez-vous le ratio or/argent se diriger à long terme?

T.S. : En mai 2011, l’argent semblait bien être l’investissement de la décennie! Mais malgré la correction qui a suivi et les prix encore plus bas aujourd’hui, nous n’avons toujours pas encore dépassé le plus haut niveau nominal atteint en 1980. Et, ajustés par l’inflation, les prix de cette époque étaient aux alentours de $140... Bien sûr, nous savons tous que 1980 était une situation très brève et extrême, mais cela montre le potentiel de l’argent. Je crois que l’argent aura une meilleure performance que l’or, en me basant sur les prix de 1999, et atteindront un nouveau sommet d’ici la fin de cette décennie.

La tendance générale pour l’or et l’argent, depuis 1990, est à la baisse, mais d’une façon très volatile. Je crois qu'avant la fin de cette décennie nous verrons le ratio or/argent de retour à 20:1, peut-être moins, pour deux raisons simples : Premièrement, quand l’or va très bien, l’argent, en tant que marché plus petit, agit comme un effet de levier de l’or. Deuxièmement, lors des 130 dernières années ou à peu près, l’argent est revenu à ce ratio alors qu’il était plus fort vis-à-vis de l’or. Alors, quand la situation sera brûlante, les spéculateurs utiliseront ce ratio historique comme point de référence qui peut être atteint et qui a été atteint par le passé. Mais, sans aucun doute, cela sera – comme cela l’a déjà été – un chemin très tumultueux.

L.S. : Vous avez récemment écrit un article, « Pourquoi le contango de l’or suggère l’intervention des banques centrales » (1). Mais, avant que l’on ne discute de la possibilité d’interférence des banques centrales sur le marché de l’or... quelle serait, selon-vous, leur motivation à le faire, premièrement?

T.S. : Le but premier d’une banque centrale est de gérer sa propre monnaie. Évidemment, un prix de l’or trop élevé dans une monnaie démontre la faiblesse de ladite monnaie. De façon similaire, de taux de location d’or élevés démontreraient que l’or est d'avantage désiré et, pour des emprunts, moins abondant que la monnaie en question. Donc si vous n’avez ni la capacité, ni le courage, de prendre des mesures pour renforcer la monnaie de manière durable, un remède à court terme pourrait être de s’en prendre à l’or. Vu que la monnaie-or n’est protégée par aucune banque centrale, elle est une proie facile. Une autre raison pourrait être que, soit par manque de connaissances ou d’appréciation de l'histoire de la finance, une banque centrale pourrait considérer l’or dans son bilan comme étant un actif ne payant pas d’intérêt, et essaiera donc de le vendre ou de le louer.

L.S. : D'accord.. pourriez-vous nous expliquer les termes « contango » et « backwardation », s’il-vous-plaît?

T.S. : Dans un marché à terme, où les prix d’un bien à livrer, disons, dans un an, sont déterminés aujourd’hui, « contango » signifie que le prix de ce bien pour livraison immédiate, aussi appelé prix spot, est plus bas que celui pour le même bien livrable dans un an. Son contraire est la « backwardation », ce qui veut dire que les prix d’aujourd’hui sont plus élevés que ceux pour un an plus tard. Cela pourrait être la définition d'échéance à un an. Certaines personnes ne parlent de contango ou de backwardation que si ces conditions s’appliquent à toutes les échéances, mais ce sont des détails.

L.S. : Quelle est la norme?

T.F. : Dans le cas d’une matière première industrielle, à cause des intérêts et des coûts de stockage, la norme est le contango. Donc, de façon erronée, certains pensent que cela devrait être le cas pour l’or aussi.

L.S. : Cependant, vous suggérez que cela devrait être exactement l’inverse. Pourquoi?

T.F. : L’or n’est pas une matière première comme les autres. Historiquement, il a tenu le rôle d’une monnaie mondiale qui ne peut être gonflée à l’infini. C'est une valeur refuge. Cependant, pour les monnaies comme l’or, le dollar ou l’euro, c’est la différence entre leurs taux d’intérêt qui dicte leur contango ou backwardation. Par exemple, à cause de cette différence de taux, souvent le dollar est en contango par rapport à l’euro et, en même temps, l’euro est en backwardation par rapport au dollar, ou vice-versa. Maintenant, remplacez le mot ‘euro’ par ‘or’ et vous verrez ce que ca donne. Alors, l’or est en backwardation quand son taux d’intérêt, que l’on nomme aussi « gold lease rate », est plus élevé que celui du dollar. La question est maintenant : Pourquoi le taux d’intérêt de l’or devrait-il être plus élevé que celui du dollar? Selon moi, la réponse est évidente : l’or est une bien meilleure monnaie et, donc, vous devriez payer un taux plus élevé pour en emprunter. Je pourrais considérer cela comme une version de la Loi de Gresham sur les taux d’intérêt.

L.S. :  La New Austrian School of Economics, avec le Prof. Antal E. Fekete à sa tête, sonne l’alarme contre l’état permanent de backwardation de l’or (2). Font-ils fausse route ?

T.F. : Dans un marché plus libre de l’or, je m’attendrais à ce que l’or soit en backwardation la plupart du temps. Je suis assez d’accord avec Fekete sur ce point. J’ai un problème avec le fait que Fekete et sa bande semblent penser que le backwardation de l’or est un arbitrage, c’est-à-dire une opportunité de s’enrichir à partir de rien. Cela est faux, comme je l’ai expliqué dans un article récent, « Faux Gold Arbitrage » (3). J'ai remarqué que Fekete utilise le mot ‘arbitrage’ d’une manière bien différente des autres. Cela est potentiellement dangereux, porte certainement à confusion, et pas du tout nécessaire. Dans l’ensemble, je crois que son raisonnement sur l’or est quelque peu faussé, à cause d’un manque de compréhension de base des concepts d’arbitrage et de changement de numéraires.

L.S. : Alors pourquoi pensez-vous que cet état de contango suggère l’intervention des banques centrales sur le marché?

T.F. : Si l’or devait attirer les plus hauts taux d’intérêt et être ainsi en backwardation, l’on doit se demander pourquoi ces taux ont été aussi bas, ces 25 dernières années ou plus. Je suspecte en premier la location d’or par les banques centrales. Et, sérieusement, peut-on être surpris du fait que les banques centrales s’évertuent à faire baisser les taux d’intérêt, que ce soit de la monnaie-papier ou de l’or, bien en-dessous d’où ils devraient être? C’est leur boulot, après tout! Cela a possiblement convenu aux banques centrales, ou à d’autres entités, d’empocher des intérêts sur l’or, alors qu'elles le considéré comme un actif autrement inutile.

L.S. : Qu’arriverait-il si l’on permettait à l’or d’être en backwardation plus ou moins régulière?

T.F. : Je ne sais pas trop. Peut-être qu’il deviendrait plus évident que l’or est la monnaie suprême. À la fin, cela pourrait engendrer plus de demande. Si vous êtes un investisseur dans l’or, ce n’est pas quelque chose que vous devriez craindre.

L.S. : Par quels moyens interfèrent-ils?

T.F. : J’ai déjà mentionné la location d’or. Cependant, je ne suis pas un expert des opérations des banques centrales. Il pourrait y avoir toutes sortes d’outils, comme les swaps, etc., dont une banque centrale pourrait se servir pour atteindre leur but.

L.S. : Vous croyez donc qu’il est légitime de poser de telles questions aux banques centrales? (4)

T.F. : Je pense généralement que, dans une démocratie et en temps de paix, on devrait être préoccupé si une soit disant institution publique garde pour elle des informations non personnelles pour une période indéterminé. Je conçois qu’une transaction immédiate d’une banque centrale, disons une action d’urgence, ne soit pas rendu publique tout de suite. Mais il devrait y avoir un accès à cette information après un certain laps de temps, disons un an ou deux. Toute autre façon de fonctionner, pour une institution de service public, n’est pas transparente et, ainsi, simplement inappropriée et non professionnelle. Alors oui, il est légitime de leur poser les bonnes questions.

L.S. : Que pensez-vous du marché de l’or-papier? Peut-il durer, ou sera-t-il dépassé par la demande qui prendra place dans le marché physique?

T.F. : Le COMEX a l’habitude d'augmenter les marges quand les marchés à terme surchauffent. Jim Sinclair, de JSMineset, a toujours attiré l’attention sur la possibilité que des marges assez élevées, par exemple 100%, pourraient effectivement transformer les marchés à terme de l’or en marchés au comptant. Aussi, les craintes de défauts de livraisons pourraient faire diminuer les volumes de manière considérable. Si cela devait arriver, on pourrait dire, à ce moment là, que la demande physique a eu raison du marché « papier ». Je crois que c’est possible, dans un avenir proche. Mais cela ne signifierait pas pour autant que le COMEX disparaîtrait entièrement... il pourrait s’adapter.

L.S. : Comment percevez-vous l’approche différente de l’or qu'ont des pays comme la Chine et la Russie, comparée à celle de l’Occident?

T.F. : Acheter de l’or constitue la meilleure chose que puissent faire ces pays et leurs banques centrales pour diversifier leurs réserves hors du dollar et de l’euro. Mais vous devez d’abord posséder ces réserves. Des exportateurs tels la Chine ou la Russie tombent automatiquement dans une catégorie différente que les États-Unis, par exemple. Il est donc tout à fait naturel que ces pays fassent cela. Mais je ne suis pas certain qu’ils en achètent assez. La plupart des pays occidentaux, cependant, ne peuvent tout simplement pas se permettre d’acheter de l’or.

L.S. : Avec cela en toile de fond, ne trouvez-vous pas que les réserves d’or de l’Allemagne devraient être disponibles en  intégralité sur le sol allemand? (5) N’est-ce pas là une question de souveraineté monétaire?

T.F. : La raison pour laquelle les réserves d’or de l’Allemagne sont détenues à New York ou à Londres a toujours été que cela favoriserait une réaction immédiate des marchés en situation de crise. Une autre raison, je suppose, était de mettre l’or hors de la portée des chars russes qui attendaient derrière le Rideau de fer. Cette dernière raison fait partie de l’histoire, et il n'y a jamais eu de crise où la Bundesbank a dû vendre des quantités considérables d’or. Il serait judicieux de stocker environ 75% en Allemagne et de laisser la balance à New York et à Londres. Et oui, je crois vraiment que cela a à voir avec la souveraineté, et que cela devrait entrer dans le cadre d’une politique étrangère de l’Allemagne plus indépendante.

L.S. : L’or sera-t-il le gagnant de la crise financière?

T.F. : Je pense qu’il est déjà gagnant et qu’il continuera de l’être. D'aprés moi, l’or aura des performances supérieures à la plupart des indices de marché, des monnaies ou des classes d’actifs tant que la crise durera. Il préservera la richesse.

L.S. : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous parler, professeur Fischer.

SOURCES:

(1) Tom Fischer: Why Gold’s Contango Suggests Central Bank Interference, Safe Haven, November 23, 2013, here:
www.safehaven.com/article/31904/why-golds-contango-suggests-central-bank-interference

(2) Compare for example Lars Schall: Gold: Permanent Backwardation Ahead!, Interview with Antal E. Fekete, August 2011, here:

http://www.larsschall.com/2011/08/27/gold-permanent-backwardation-ahead/

(3) Tom Fischer: Faux Gold Arbitrage – Why backwardation in gold does not imply arbitrage, Bullion Vault, September 2, 2013, here:

http://goldnews.bullionvault.com/gold-arbitrage-backwardation-090220135

(4) Lars Schall: Lots Of Questions, Few Answers, October 25, 2012, here:

http://www.larsschall.com/2012/10/25/lots-of-questions-few-answers/

(5) Lars Schall: Germany should end the secrecy and bring its gold home, October 10, 2011, here:
http://www.gata.org/node/10550″.

Source : Goldswitzerland

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