Lors de la publication de ses derniers résultats trimestriels, la banque américaine Morgan Stanley a annoncé avoir « modifié son modèle de VaR pour qu'il soit plus réceptif aux récentes conditions de marchés » (L’Agefi)... Que cache cette formulation alambiquée ?

Un mot sur la VaR d’abord, acronyme de Value at Risk, que l’on peut traduire comme « valeur sous risque ». Cette formule a pour fonction de mesurer le risque de marché d’un portefeuille d’instruments financiers. Pour évaluer son risque en temps réel, la banque rentre dans ce modèle l’ensemble des actifs financiers qu’elle détient dans son bilan, leurs montants comme leurs caractéristiques, et obtient en sortie un risque de perte maximale. Cela lui permet de contrôler son niveau de risque, et donc de savoir quel montant de liquidité garder en réserve.

L’idée est séduisante sur le papier, au point que le comité de Bâle l’a adopté dans la réglementation bancaire. Mais il y a un problème de fond : la formulation mathématique est basée sur la loi normale, autrement appelée courbe de Gauss ou courbe en cloche, qui minore les événements extrêmes (pour expliquer brièvement : la loi normale fonctionne pour les événements indépendants les uns des autres, comme le lancer d’une pièce de monnaie, mais pas pour ceux en interaction, comme sur les marchés, qui produisent une concentration des risques). Le mathématicien Benoît Mandelbrot le premier, puis Nassim Taleb dans son livre Le Cygne noir, ont dénoncé le recours à la loi normale qui nous rend aveugle face aux événements extrêmes qui, sur les marchés financiers, sont pourtant courants.

Une façon de compenser la faible capacité de la loi normale à tenir compte des événements extrêmes consiste à prendre un historique de données s’étalant sur plusieurs années, de façon à intégrer, dans les calculs, les chocs antérieurs. On garde en mémoire les krachs des dernières années pour être plus prudents dans ses calculs.

En l’occurrence, Morgan Stanley vient précisément de faire le contraire ! Jusqu’ici sa VaR se basait sur un historique de quatre années, c'est-à-dire incluait le krach de septembre 2008, il passe désormais à un an seulement. Et sur les douze derniers mois, en apparence tout va bien : pas de krach, progression régulière de la bourse (grâce aux QE des banques centrales), croissance du PIB et baisse du chômage aux Etats-Unis (même si les indices sont « retravaillés »).

Résultat le coût du risque diminue, la banque américaine peut diminuer ses fonds propres réglementaires pour investir encore plus sur les marchés. Ce faisant elle accroît son effet de levier c'est-à-dire, lorsqu’on raisonne en bon gestionnaire, son risque réel. Mais ce qui compte, pour les régulateurs, qui ont agréé cette modification, c’est le risque calculé par la VaR…

Ensuite Morgan Stanley annonce des résultats en hausse, tout va bien ! Toutes les banques dans le monde jouent à ce jeu dangereux. Tout va bien, jusqu’au jour où un choc de grande ampleur viendra mettre à bas ces calculs d’apothicaires. Les banques pourront alors se retrancher derrière leur respect scrupuleux de la réglementation bancaire pour demander l’aide des Etats.

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