L’analyste financier et économiste de renom Alasdair Macleod revient sur l'année 2012 et commente les événements et développements importants, tels l’assouplissement monétaire illimité. De plus, il nous fait part de ses attentes pour 2013 en général, et sur les marchés de l’or et de l’argent en particulier.

Alasdair Macleod a débuté sa carrière comme courtier en 1970 sur le London Stock Exchange et a acquis, à travers son expérience, des connaissances autant sur les actions minières que sur l’économie en général. En neuf ans, Macleod a gravi les échelons de sa société pour devenir associé principal. Il a occupé des postes de direction en gestion d’investissements, gestion de fonds et gestion bancaire. Depuis près de quarante ans dans l’industrie de la finance, Macleod a démystifié pour ses clients investisseurs les événements macroéconomiques. Son expérience l’a convaincu que les politiques monétaires malsaines constituaient les armes les plus destructives que les gouvernements peuvent utiliser contre les populations. Ainsi, sa mission consiste à éduquer et informer le public, avec des termes simples sur ce que les gouvernements font avec la monnaie et sur les moyens de se protéger de ces conséquences. Alasdair Macleod gère FinanceAndEconomics.org, un site web dédié à la monnaie saine et à la démystification de la finance et de l’économie.

Lars Schall : Regardons les événements majeurs de l’hiver, du printemps, de l’été et de l’automne passés. Alors, selon vous, quel fut l’événement majeur de l’hiver dernier, au début de 2012 ?

Alasdair Macleod : La Réserve fédérale qui annonça l’extension des taux d’intérêts zéro jusqu’à 2014, ce qui est inédit. Nous sommes maintenant habitués aux taux d’intérêts nuls. Il y a aussi la BCE qui a abandonné la monnaie saine pour supporter le système bancaire de la zone Euro et ses membres les plus faibles. Pour moi, c’est ce qui a tracé la voie vers un effondrement éventuel de la monnaie papier.

L. S. : Parlez-nous un peu des taux d’intérêts nuls et de ce que cela engendre ?

A. M. : Normalement, la Banque centrale établit les taux d’intérêts à un niveau qu’elle juge approprié pour l’économie. Dans le cas de la Fed, l’intention est d’équilibrer le niveau de chômage et les risques d’inflation en gardant les taux d’intérêts bas. En pratique, cependant, cela signifie qu’elle les garde plus bas que les taux qui serait fixé par le marché lui-même.

Mais là nous sommes dans une situation où la Réserve fédérale dit : « Nous garderons les taux d’intérêts gelés à zéro jusqu’à au moins fin 2014 ». Cela signifie que les coûts d’emprunt sont liés à ces taux, et on ne peut pas encore baisser ces taux. C'est le point final des baisses de taux d’intérêts. Évidemment, si vous voulez garder les taux si bas, vous devez faire deux choses : premièrement, vous devez alimenter le système avec de la monnaie fraîchement imprimée et, deuxièmement, la banque centrale doit être prête à satisfaire toute demande de monnaie à ces taux nuls. Et, évidemment, c’est ce que la Fed a fait en achetant des bons du Trésor et en injectant l’argent pour les payer dans le système bancaire. Les banques qui ont profité de cette manne d'argent, ne l’ont pas prêté dans l’économie réelle, mais elles s’en sont servi pour leurs spéculations financières. C’est pourquoi des montants astronomiques de produits dérivés se sont empilés. Et le système bancaire américain, que vous le croyiez ou non, est exposé de façon significative à la zone Euro.

L. S. : Comment cette exposition à la zone Euro est-elle arrivée ?

A. M. : Cela remonte au début de cette année quand il n’y avait que des gens comme vous et moi qui s’inquiétaient de la possibilité que la Grèce, l’Italie et l’Espagne soient en faillite. Les banquiers moyens ne faisaient que regarder les garanties venant de la BCE, leur permettant de réaliser 3% ou plus sur un prêt souverain dans la zone Euro. Alors, au final vous vous retrouvez avec l’exposition des banques au système bancaire de la zone Euro. Au milieu de l’année, selon la BIS (Bank for International Settlements), le montant était d’environ $1,5 mille milliards. Ceci fut un évènement très important du début d’année. La BCE, à l’époque, insistait pour dire qu’elle n’imprimerait pas de monnaie, et qu’elle conserverait sa politique de prêts. Mais, avec Draghi, ils ont réagi à un problème bancaire systémique et à des politiciens incapables de gérer les finances gouvernementales de leur propre pays. Alors il devint évident que la BCE était la seule institution de la zone Euro capable de prolonger le spectacle. Et la BCE abandonna toute prétention à une monnaie saine. Les Allemands partisans d’une monnaie saine, n'ont pas du tout apprécié cette décision de la BCE. L’histoire de l’euro, comme celle du dollar, en maintenant une histoire d’impression, d’impression et encore d’impression. Et, bien sûr, nous avons eu le sauvetage de la Grèce en janvier. Le premier de deux sauvetages, au moins, si je me rappel bien.

L. S. : Oui.

A. M. : Alors ça, c’était pour le premier trimestre. Au printemps, ce qui attiré mon attention fut le système de transfert express automatisé transeuropéen à règlement brut en temps réel, appelé Target 2. Soudainement, l’Allemagne se retrouvait endetté de près de 500M d’euros, ce qui reflétait une fuite de capitaux vers l’Allemagne de pays tels que la Grèce et, de plus en plus, de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal. Les citoyens ordinaires de ces pays commencèrent à douter de la sécurité de leurs dépôts dans les banques. Les déséquilibres de la fuite de capitaux se reflètent à la Bundesbank avec 715 milliards d’euros ($1 mille milliards) qui lui sont dus par les autres banques centrales européennes. Les déséquilibres atteignent maintenant mille milliards d’euros dans la zone Euro.

Ensuite au 3e trimestre, il y a eu la manipulation du LIBOR...

L. S. : Oui, bien sûr.

A. M. : Et cela a commencé avec la banque Barclays. Il était clair qu'il n'y avait pas seulement Barclays, mais bien toutes les autres grosses banques qui étaient impliquées, de UBS à la Banque Royale d’Écosse. Plusieurs grosses banques avaient intérêt à maintenir la valeur de leurs produits dérivés à des niveaux artificiels, pour que leurs marges de profit aient fière allure. Il s’agit d’un scandale majeur, mais ce n’est rien en comparaison aux dommages économiques causés par la manipulation des taux d’intérêts par les banques centrales, avec les politiques de taux zéro. En plus, nous avons la manipulation du LIBOR. La chose qui choque les gens est que les banques veillent d'abord à leur propre intérêt en gonflant la valeur des actifs, le prix des obligations et d'autres choses qu’ils mettent dans leurs bilans en manipulant le LIBOR à la baisse. Et je crois que c’est un très, très gros scandale. C’est un scandale général qui implique les banques centrales qui, j’en suis sûr, étaient au courant et qui savaient à quel point le LIBOR était important pour les bilans des banques commerciales.

L. S. : Nous arrivons à l’automne et à l’hiver...

A. M. : Oui... Il y a beaucoup de risques systémiques maintenant, mais je crois que je vais revenir sur quelque chose que j’ai écrit récemment au sujet de l’or et l’argent sur le COMEX. Le rapport de participation des banques est sorti le 4 décembre, et j’ai pu compiler les chiffres de cette année. Les positions short des banques atteignent un niveau record. Et ce qui est intéressant est que, avec les prix de l’or et de l’argent bien en-dessous de leurs pics historiques, personne sur le marché ne veut prendre ses profits et vendre ses contrats, ce qui permettrait de « fermer » ces positions short. Et avec l’argent, c’est très, très inquiétant. Ce qui me laisse entrevoir que nous pourrions assister à une faillite du COMEX, particulièrement sur le marché de l’argent.

Une faillite du COMEX sur l’argent affecterait aussi le marché des futures de l’or. En Occident, les banques centrales et commerciales ont gardé bas les prix de l’or et de l’argent en se servant de l’or des banques centrales et en augmentant leurs positions short, ce qui rend les prix beaucoup trop faibles. Le résultat est un transfert massif d’or et d’argent vers l’Asie. Ce qui nous amène au point que vous avez soulevé à propos des réserves d’or des banques centrales et à la question de la solvabilité des banques short.

Donc, je crois que, même si ce n’est pas évident pour beaucoup de personnes en ce moment, si nous regardons en arrière au quatrième trimestre, les conditions étaient réunies pour un bear squeeze majeur, particulièrement pour l’argent. Je pense que les positions short sur l’or se contrôlent mieux tant que les banques centrales occidentales continuent de fournir de l’or aux banques short, soit sur le COMEX ou sur le LBMA. Mais, pour l’argent, c’est différent, personne n’en a à vendre. Il n’y en a pas.

L. S. : Oui, il n’y a pas de stock.

A. M. : Exactement.

L. S. : Et c’est la grande différence ?

A. M. : Oui, et cette position sur l’argent pourrait actuellement déstabiliser d’autres produits dérivés sur les marchés financiers. Je blâme la complaisance à ce sujet des économistes keynesiens et des monétaristes qui disent que ‘l’or n’est qu’une matière première’. C’est un non-sens absolu, car nous parlons de la monnaie la plus importante de toute l’humanité. Si vous allez en Asie et demandez ‘qu’est-ce que la monnaie’, on vous répondra l’or et l’argent, et non pas des rupees ou quelqu’autre monnaie papier émise par les gouvernements. L’or et l’argent, c’est ce qu’ils considèrent comme monnaie, c’est là où ils mettent leurs économies. Et c’est pourquoi nous en manquons.

L. S. : Laissez-moi vous interrompre, car je voudrais évoquer deux choses. Le yuan en Chine... On parle beaucoup du yuan qui deviendrait la prochaine monnaie de réserve, et nous voyons que les Chinois n'arrêtent pas d'acheter de l’or. Croyez-vous qu’ils aient derrière la tête de soutenir leur monnaie avec l’or ?

A. M. : Oui, je crois. Je crois qu’ils ont un plan, que nous ne connaissons pas, mais que nous pouvons deviner. Je commencerais en disant que tous les économistes marxistes de Chine et de Russie ont appris que le capitalisme se détruit lui-même. Que vous y croyiez ou non n’a pas d’importance, mais c’est ce que les économistes chinois ont en tête. Et ils peuvent voir la direction que prend le dollar US. Nous devons aussi comprendre que, pour des raisons de sécurité, ils ne veulent pas vraiment du dollar pour régler leur commerce international. En effet, chaque transaction effectuée en dollars apparait dans un compte bancaire à New York. Or les Chinois voudraient bien échapper au contrôle potentiel et aux renseignements que cela donne aux États-Unis. Ils veulent régler leurs échanges différemment.

Ils se sont entendus il y a dix ans avec les Russes pour fonder la SCO (Shanghai Cooperation Organisation), et le seul objectif du SCO qui reste à atteindre est la mise en place d’un système commun de règlement des opérations entre ses membres, qui comprennent aujourd'hui la Russie, la Chine et la plupart des pays avec des noms qui se terminent en ‘stan’ de l’Asie Mineure. Mais, c’est intéressant, la prochaine vague de pays qui vont se joindre à eux inclut l’Inde, l’Iran, le Pakistan, la Mongolie et l’Afghanistan (aussitôt que l’OTAN sera partie). Donc vous avez la majeure partie des 4 milliards d’Asiatiques qui s’apprêtent à mettre en place un commerce transfrontalier pas avec le dollar, mais avec autre chose. Ils se doivent d’être riches en or pour donner confiance en leurs monnaies. Je soupçonne que le yuan chinois jouera un grand rôle en Asie. Il est intéressant de voir ce qu’ils font en Iran. Ils règlent des comptes en or, et l’or redevient ainsi une monnaie. Et je pense que la Chine a accumulé beaucoup plus d’or que ce que nous disent leurs chiffres officiels. Ils ont donc le potentiel pour se servir de l’or comme monnaie. Je vois l’or redevenir de la monnaie au sens le plus large du terme dans le plus grand marché interne que le monde ait vu. Croyez-moi, cela arrive à grand pas.

L. S. : Bien. J’aimerais faire la connexion avec autre chose. Pensez-vous que les Chinois voudront se faire payer en or si on leur demande d’aider dans la crise de l’euro ? Disons qu’ils aideraient à soutenir l’euro et, en retour, ils mettraient la main sur l’or de l’Europe...

A. M. : Je ne crois pas que les Chinois s'embarqueront dans un soutien de l’euro. Je pense cependant qu’ils aimeraient bien échanger des euros contre de l’or. Je suis persuadé qu’ils aimeraient prendre de l’or physique comme collatéral sur les prêts à la zone Euro. Mais maintenant, à chaque fois qu’un pays de la zone Euro dit à la Chine qu’il voudrait un peu d'argent, les Chinois écoutent poliment et, ensuite, leur montrent gentiment la porte. La Chine ne veut pas jouer ce rôle, elle a assez à faire avec ses propres problèmes.

L. S. : Oui.

A. M. : Regardons la chose autrement : l’Européen moyen a un standard de vie environ dix fois supérieur au Chinois moyen. La Chine n’est pas intéressée.

L. S. : Parlons donc des évènements importants sur le marché de l’or cette année, en particulier le rapatriement des réserves d’or de plusieurs pays.

A. M. : Oui. Je pense que c'est des plus gros faits marquants de 2012, et cela est dû en grande partie au travail que vous avez réalisé. Réussir à harceler les autorités Allemande et leur faire dire combien d’or ils croyaient avoir et où il se trouvait constitue un scoop journalistique de taille. Et ce que j’ai apprécié en particulier est que, non seulement vous ayez fait cela, mais que cela en ait encouragé d’autres à faire de même ailleurs. Comme ce journaliste au Mexique qui a fait parler la Banque centrale du Mexique. On découvre maintenant que la grande partie des réserves d’or de l’Autriche se trouve non seulement en Angleterre, mais qu’ils ont fait 300 million d’euros en frais de location (leasing). Quelle erreur de nous dire cela !

L. S. : Oui, pouvez-vous développer un peu ? Pourquoi était-ce une erreur ?

A. M. : Bien, je crois que c’était une erreur, parce que la chose la plus sensée qu’une banque centrale peut répondre quand on lui pose des questions là-dessus, c’est d’en dire le moins possible, vu qu’une bonne partie de cet or a probablement disparu à travers le leasing. En effet, la vraie raison d’avoir de l’or dans ses réserves de change est la protection qu’il apporte pour le pays et sa monnaie. Vous, les banques centrales, êtes-vous en train de nous dire que vous avez compromis ce rôle en le « louant », avec le risque qu’il ne revienne pas ? Attendez-vous à ce que ce soit la prochaine question des journalistes.

L. S. : Oui.

A. M. : Et évidemment, ils se taisent tous à ce sujet. C’est pourquoi je pense que c’était une erreur de la part de la Banque centrale d’Autriche de l’admettre. Plus récemment il a été révélé, après moult pressions, que 50% de l'or des Pays-Bas se trouve à New York, 20% au Canada, 20% à Londres et 10% seulement à Amsterdam.

L. S. :  Nous en venons donc à la définition d'une réserve d’or. Je dirais qu’une réserve d’or est l’or que vous possédez et dont vous pouvez disposer n'importe quand, n’est-ce pas ?

A. M. : Oui, le banquier devrait être en mesure de descendre dans les coffres et de le compter.

L. S. : Oui.

A. M. : C’est aussi simple que cela.

L. S. : En Allemagne, par exemple, ce n’est pas le cas. Ils n’ont pas de réserves d’or, quel genre d'hybride ont-ils ?

A. M. : Il fut un temps où il était logique, pour l’Allemagne, avec les Russes dans les parages, d’entreposer son or à New York, Londres ou Paris. Mais les choses ont changé, ce n’est plus le cas et elle devrait vraiment le rapatrier. Et je ne peux tout simplement pas comprendre les circonstances passées ou à venir qui feraient qu’elle ait eu à se débarrasser de l'or ou à en garder une partie à proximité des marchés. Il semble que la Bundesbank, au lieu de détenir de l’or physique, n’ait que des promesses de contrepartie de la Fed, de la Banque d’Angleterre et de la Banque de France. Ceci devrait être clarifié.

Maintenant, si vous me parlez de la France, je vous dirais que la France est théoriquement en faillite. Je les imagine très bien vendre de l’or pour payer des dettes ou pour financer des fonds d’urgence ou autre. Peut-être s’en servir comme collatéral pour des prêts. Mais, pour l’Allemagne, cela n' a aucun sens, surtout d’avoir de l’or à Paris, sous toute forme que ce soit. Et je soupçonne que les banquiers de la Banque centrale Allemande ont eu des difficultés à garder leur or loin des différents Chanceliers, mais c’est une autre histoire.

L. S. : L’argument est maintenant, par exemple, que l’or est disponible à New York pour trader avec. Quand vous faites du trading avec vos réserves d’or, qu’est-ce que cela signifie ?

A. M. : Cela veut dire que vous ne vous en occupez pas bien et que vous ne le gardez pas pour ce à quoi il devrait servir. Et si vous le louez (leasing), vous faites alors partie d’un schème qui maintient le prix de l’or, et ainsi la valeur de vos réserves d’or, à un niveau bas. Les banques centrales qui font du leasing ont perdu de vue la principale raison d’avoir des réserves d’or.

L. S. : Pourquoi est-ce intéressant pour certains acteurs d’avoir un prix de l’or bas, et quelle est la connexion entre le prix de l’or, le marché des obligations et la fixation des taux d’intérêts ?

A. M. : Oh, ça pourrait être long...

L. S. : Je vous mets au défi...

A. M. : D’accord. Retournons au « choc » Nixon en 1971. Les Américains ont décidé que le système de Bretton Woods de convertibilité de l'or seulement pour les banques centrales (et le FMI et la Banque mondiale) était terminé parce qu’ils n’avaient pas assez d’or pour couvrir les pertes résultant du rapatriement de dollars US par la Banque de France et d’autres banques centrales. Dès lors, le Trésor américain et la Réserve fédérale essayèrent de démonétiser complètement l’or, et ils firent campagne en disant que l’or était vieillot, que ce n’était plus de la monnaie. Le dollar est roi, le dollar est la monnaie, et vous pouvez oublier l’or.

Et, au début, ils essayèrent de s’attaquer au prix de l’or pour persuader les spéculateurs que l’or était une monnaie dépassée. Ce qui échoua misérablement quand le marché haussier de l’or absorba facilement tout l’or que les Américains vendaient. Plus tard, dans les années ’80 -’90, vint le leasing. Le leasing de l’or constituait la base du carry trade, i.e. qu’une banque obtient d’une banque centrale de l’or « loué » à un taux annuel d’environ 0,5 à 0,75%. Elle vend ensuite cet or sur le marché et, avec ces recettes, achète des obligations gouvernementales à court terme qui, à l’époque, rapportaient 5 à 6%, lui permettant ainsi de réaliser de bons profits. Et ces banques pouvaient se couvrir via le marché de Londres avec un producteur qui voulait vendre l'or à terme afin de pouvoir régler le flux de trésorerie de ses opérations.

Mais ce que nous ne savons pas, autrement que par analyse indirecte, est jusqu’à quel niveau ces opérations de leasing étaient réellement couvertes par des livraisons physique provenant des mines. Presque tout l’or vendu par leasing dans les années ’80 –’90 se retrouva dans des bijoux. Et je crois qu’il est estimé que jusqu’à 90% de l’or vendu sur le marché physique se retrouve en joaillerie sous une forme ou une autre. C’était la "raison d’être" pour les banques qui essayaient de sortir entièrement l’or du système financier. Cette forme de « carry trade » a été considérablement réduite, parce que les écarts entre les taux d’intérêts ne sont plus là.

L’autre aspect de la relation avec les rendements des obligations est que l’or ne rapporte pas d’intérêts. Alors, si les taux de rendement des obligations sont hauts, cela se traduit par une pénalité si on garde de l’or. Si, d’un autre côté, les taux d’intérêts sont bas, il n’y a pas de pénalité et l’or devient plus attrayant. Je crois que cela, à la base, résumerait bien la relation entre l’or et les obligations.

L. S. : Mais maintenant on entend parler de l’or qui redevient un actif sans risque...

A. M. : Oui.

L. S. : ... est-ce aussi un des fait marquants de l’année ?

A. M. : Oui, c’est très intéressant, car je crois qu’ils veulent arrêter l’arbitrage réglementaire, gardant en tête que les marchés des produits dérivés acceptent déjà l’or comme collatéral pour les marges. Et cela est arrivé après du lobbying du marché de l’or londonien. S’ils ne font rien pour arrêter l’arbitrage réglementaire des bilans des banques, cela encouragera la croissance du shadow banking, ce dont les régulateurs ne veulent pas. Et si maintenant on demande aux banques américaines si elles pensent que c’est une bonne idée d’avoir de l’or comme collatéral à pleine valeur, bien sûr qu’elles répondront que oui. Je crois que c’est un fait accompli.

L. S. : C’est très important pour le prix, n’est-ce pas ?

A. M. : Je pense que cela viendra avec le temps, parce que je m’attends à ce qu’un grand nombre de banquiers commencent à s’inquiéter de la valeur des monnaies fiduciaires, et il est donc logique d’allouer de l’or sur leurs bilans pour se protéger. L’or sera sur l’écran-radar de tous les banquiers.

L. S. : Alors, est-ce que l’or sera encore important en 2013 ?

A. M. : Je pense que l’or sera important, mais je ne sais pas jusqu'où. À ce stade, ce que je vois est une faillite potentielle sur les marchés des métaux précieux. Je crois qu’il est beaucoup plus important de s’inquiéter de cela. Vous savez, ils ne pourront pas obtenir leur or et leur argent si cela arrive.

L. S. : Oui, bien sûr. Et maintenant, tournons-nous vers le troisième fait marquant pour l’or en 2012, et c'est en rapport avec l’Iran. On les a sortis du système SWIFT... qu’ont-ils fait ensuite ?

A. M. : J'ai trouvé cela intéressant, parce que cela a commencé avec les États-Unis qui ont empêchés l’Iran d’utiliser les dollars US pour ses paiements. Et cela signifiait qu’aucune banque iranienne ni aucune autre banque échangeant avec des contreparties iraniennes ne pouvait opérer un compte en dollars parce que, avec le système de correspondance Nostro/Vostro, tous ces comptes en dollars sont en réalité à New York, d’où ils peuvent être surveillés et annulés. D’un côté, les Américains disent : pas de paiements en dollars US pour l’Iran; c’est une chose. Mais il y avait le système SWIFT, basé à Bruxelles, qui gère tous les transferts monétaires internationaux, et il fut arrêté.
Alors vous avez une situation où l’Iran, un futur membre du Shanghai Cooperation Organisation et un exportateur majeur de pétrole vers la Chine, l’Inde et la Turquie, ne peut être payé pour son pétrole en dollars ou dans une autre monnaie. Donc, l’Iran a dû se résoudre à régler ses paiements externes en or. Ce qui devrait motiver la Chine à vouloir plus l’or que les dollars. Elle produit d’ailleurs probablement plus d’or que ce qui est rapporté dans les chiffres du World Gold Council. De toutes manières, je suis certain que, non seulement la Chine a accumulé sa propre production, mais qu’elle et ses citoyens achètent tout l’or provenant de l’étranger. Nous savons aussi qu’ils ont investi dans des minières aurifères en-dehors de la Chine, en Australie et aussi en Afrique. La Chine un pays qui s’apprête évidemment au retour de l’or comme monnaie, en voyant les monnaies de papier, surtout en Occident, devenir inutiles. Et les soupçons de la Chine sur cette éventualité n’ont pas diminué avec le traitement réservé à l’Iran par les États-Unis.

L. S. : Et maintenant l’Inde paye le pétrole iranien avec de l’or.

A. M. : Oui. De ce que j’y comprends, le commerce entre l’Inde et l’Iran fonctionne sur une base nette de paiement en or. Mais, cela étant dit, l’effondrement du rial iranien doit avoir réduit énormément les importations de l’Iran, alors il doit amasser beaucoup d’or contre son pétrole, une bonne partie n’ayant pas à être utilisée pour les importations.

L. S. : Nous passons maintenant à vos attentes pour 2013, et nous commençons avec l'argent.. Êtes-vous d’accord avec moi que le marché de l’argent est le plus explosif, non seulement comparé à celui de l’or, mais à tous les autres marchés ?

A. M. : Absolument. Vous avez ces positions short des banques sur le COMEX qui ne peuvent être couvertes. Selon le plus récent rapport de participation des banques, ces banques sont short de près de 300 million d’onces d’argent. Quand vous gardez en tête qu’il s’agit d’un métal industriel, vous savez que le gros de la consommation d’argent qui sort des mines ou qui est recyclé se retrouve dans des biocides, des panneaux solaires, des composantes électroniques etc. Il ne reste qu’environ 100 million d’onces pour les investisseurs. La position short des banques sur le COMEX est trois fois supérieure à 100 million d’onces.
Il n’y a pas moyen de couvrir ces positions sans une montée des prix suffisante pour tuer une quantité significative de la demande, parce qu’il n’existe pas de réserves stratégiques dans lesquelles puiser. Le seul pays à peut-être avoir des réserves stratégiques est la Chine, mais ce serait les seuls. Et je crois que la seule façon de couvrir ces positions short des banques sera une montée des prix qui se traduira par des milliards de dollars de perte pour ces banques. Il y aura une crise sur le marché, et je pense qu’ils auront à suspendre les transactions sur l’argent et s’entendre sur une procédure de remboursement pour les contrats short et long. Et si cela arrive, l’argent sera bien au-dessus de $50 l’once. Mais n’oubliez pas, d’autres Bourses vont continuer à mettre un prix sur l’argent si le COMEX est suspendu, ce qui n’aidera pas le COMEX à résoudre son problème si le prix augmente ailleurs.

L. S. : Le système bancaire européen va également mal, n’est-ce pas ?

A. M. : Oh, oui. L’an passé, l’élection du président François Hollande a accentué cette crise, parce qu’il a sorti la France du chemin de l’austérité et est retourné aux vieilles décisions centrales et au socialisme. Le résultat est que, très rapidement, l’économie de la France commence à s’effondrer. La France, selon moi, est au moins en aussi mauvaise posture que la Grèce, l’Italie ou l’Espagne, et ce n’est qu’une question de temps avant que les marchés ne s’en aperçoivent. Je pense qu’il s’agira d’un fait important en 2013. À un moment en 2013, je m’attends à ce que des citoyens de la zone Euro tournent le dos à l’euro pour l’or.
De façon plus générale, je dirais que les risques systémiques pour la prochaine année sont la zone Euro et le Japon (ce qui pourrait vous surprendre, mais notez qu’au Japon la baisse d’épargne des épargnants aînés est telle qu’elle se reflète dans un déficit commercial qui mènera, soit à des taux d’intérêts plus élevés ou à un yen plus faible). Vous avez donc là deux problèmes pour les banques. Et il y a aussi, comme nous l’avons mentionné, le marché des métaux précieux qui, je crois, va être une grosse surprise. Et je sais que la réponse des banques centrales du monde entier aux problèmes de la zone Euro et du Japon sera d’imprimer autant de monnaie qu’il sera nécessaire pour éviter que leurs banques soient affectées et que le système monétaire s’effondre. L’économie américaine, avec des impôts plus hauts, décevra sûrement aussi. Je ne vois pas de progrès en 2013, seulement des problèmes, avec un système bancaire constamment au bord de l’effondrement. Et si le système bancaire s’effondre, les monnaies aussi s’effondrent.

L. S. : Bien sûr, c’est évident. Bon, avec ce paysage en fond, à quoi vous attendez-vous pour le marché de l’or en 2013 ?

A. M. : Je m’attends à ce qu’il soit considérablement plus fort, parce qu’il devrait refléter l’augmentation des risques systémiques et l’accélération avec laquelle ces risques se développent. Je crois que cela pourrait être, ou sera, franchement effrayant. C’est ce que je vois mais, à court terme, nous aurons une pénurie importante de métal physique en Occident, qui ne pourra se résoudre qu’avec des prix plus élevés, et beaucoup plus élevés dans le cas de l’argent.

L. S. : Une dernière question : un des faits importants avec l’or en 2012, évidemment, est que nous avons vu plusieurs discussions au sujet du standard-or par rapport aux années précédentes. Pensez-vous qu’il y aura plus de discussions... comment voyez-vous ce débat ?

A.M. : Je crois que ceux qui voudraient revenir à un standard-or sont en plein rêve. Je ne vois vraiment pas un standard-or, parce que, en réalité, les banques centrales veulent avoir la possibilité de continuer à émettre de la monnaie sans restriction aucune. Aussitôt que vous introduisez un standard-or, cette flexibilité n’existe plus. Cela n’arrivera pas, oubliez ça.

L. S. : Pensez-vous qu’en 2013 nous irons plus loin dans la voie du déclin?

A. M. : Je suis très, très pessimiste, Lars. Je pense que, éventuellement, nous verrons une perte totale de valeur des monnaies papier. Je pense qu’elles perdront toutes leur valeur et cela ne me procurera aucun plaisir d’être assis sur mon or et mon argent à une époque où tous les autres se seront appauvris. Mais c'est ce qui semble nous attendre en 2013 et les années à venir.

L. S. : N’est-ce pas la triste vérité... Néanmoins, je vous remercie énormément pour cet interview !

A. M. : De rien, de rien, ce fut un plaisir !

Source originale: Goldswitzerland

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